La classe morte. Tadeusz Kantor, un de mes chocs de théâtre en 1975 à Nancy
Bien -sûr que je m’en souviens bien.
Le 3 janvier 1991 le théâtre de l’Unité débarquait à Montbéliard nommé à la direction d’une Scène Nationale.
Dans nos bagages, notre culture théâtrale, nos valeurs, nos convictions, nos admirations.
Première visite dans la terminale option -théâtre, je parle librement et je cite Vilar, et je lis dans les yeux égarés des élèves qu’il y a problème.
Monsieur, vous l’avez connu Hervé Vilar ?
Et je me dis : si on veut comprendre le théâtre, il y a quelques fondamentaux à partager. Et nous organisons un bus de 54 places pour que notre public découvre le théâtre du Soleil.
Et là c’est le drame absolu, zéro inscrit.
Je prends conscience que je vivais dans un microcosme d’intellectuels parisiens conditionnés par Télérama, le Monde, Libération, et la culture du théâtre public subventionné.
Alors nous avons monté une pièce qui racontait 2500 ans de théâtre en une heure, et le dernier tableau c’était nos grands souvenirs de théâtre, Kantor, Pina Bausch,Tête d’or, Brecht, Savary, Zingaro, le Soleil, Vilar, Barba, Vitez, Chéreau, Brook, le living theatre etc
En 1997 nous affichions complet au théâtre des Halles dans le off d’Avignon. Je revois Paul Puaux, le bras droit de Vilar en larmes, et aussi tous les anciens.
2024. A part avec Du Vignal, ou Béatrice Picon Vallin, avec qui puis-je discuter de la première de la Classe Morte de Kantor à Nancy, dans une vraie salle de classe, de la Cuisine de Wesker au cirque Médrano, de Ah Dieu que la guerre est jolie de Pierre Debauche dans un hangar d’aviation à Nanterre ?
Qui a vu la Taganka à Moscou et le Tartuffe de Lioubimov ou dix jours qui ébranlèrent le Monde, et Arturo Ui, la mise en scène de Brecht au Berliner Ensemble, et même l’Arlequin de Strehler avec cet acteur prodigieux Ferrucio Soleri.
Et puis début du vingt et unième siècle une nouvelle génération d’artistes apparait. Mais plus rien ne m’impacte.
Le théâtre a t-il changé ou est ce moi qui ai changé ? Suis-je aigri ?
Je pratique “le hate watching” c’est à dire que je vais voir des spectacles que je sais qu’ils ne vont pas me plaire pour essayer de comprendre ce qui est en train de se passer.
Je trouve que les nouveaux bâtiments de théâtre ressemblent à des crématorium, l’accueil y est glacial. A la Criée de Marseille, on doit glisser son ticket dans un tourniquet comme dans le métro.
Mes derniers enthousiasmes vont au théâtre de rue à Royal de Luxe, à Transexpress, Générik, Ilotopie, au cirque Archaos, au cirque Plume au groupe F etc. Je voulais jouer au festival d’Avignon, Olivier Py, directeur, me répond : je crois cher Livchine que vous ne m’avez jamais apprécié. Ah ça c’est sûr.
Je fais un prurit anti -institutionnel, je rejette les CDN, il y a un côté éventé, un public TLM (Toujours Les Mêmes).
Je paie 130 € à Aix en Provence pour voir l’Opéra de quatre sous de Brecht/Weill monté par le très respecté metteur en scène allemand Thomas Ostermaier. Déception magistrale.
Je tente Lupa à l’Odéon, je meurs d’ennui, tandis qu’une minuscule intelligentsia se pâme d’admiration.
Il n’y a que la Scène Nationale de Calais, le Channel, qui trouve grâce à mes yeux, un lieu de vie et justement son directeur Francis Peduzzi a droit au pilori sans que ses collègues s’en inquiètent, à part cette chère Ariane Mnouchkine qui monte le défendre.
Je ne suis pas désespéré, car le théâtre est allé se cacher dans des petites niches, des abris, des refuges, des oasis. C’est le tiers- théâtre et son peuple secret nous dit Eugenio Barba, 85 ans de jeunesse.
Ce sont des lieux vivants, des organisations collectives, des démarches politiques, originales et singulières.
Evidemment on a coupé les subventions à Cassandre la seule revue qui n’avait pas peur de parler de ces marges.
Moi je n’oublie pas que ce sont les marges qui tiennent les pages.
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