
J’apprends la nouvelle comme tout le monde.
Une jeune stagiaire victime de viol en 2010 s’en prend aux méthodes d’Ariane Mnouchkine.
Alors immédiatement je prépare une lettre de soutien soutien total à Ariane Mnouchkine, et puis j’hésite à l’envoyer car en soutenant Ariane, j’ai l’impression que je minimise la gravité des actes commis sur la personne d’Agathe Pujol.
Je ne sais plus comment m’y prendre.
Si je dis : je sais bien Ariane que tu ne tolères pas de tels agissements, tu n’étais pas au courant, pour moi sincèrement tu n’es pas responsable, le public ne t’en voudra pas.
Cela ne passe pas. Les agissements ont eu lieu à l’intérieur de l’équipe. Bien -sûr il faut sévir au plus vite, exclure sur le champ toutes les mauvaise graines. N’empêche que le mal est fait.
Alors j’essaye une autre piste : pour produire tant de beauté, il y a de la douleur, de la souffrance, des sacrifices. C’est le prix de la création. Je le pense un peu, mais le dire c’est ouvrir la porte à toutes sortes de violences.
Quand il y a eu la démission des techniciens de la comédie de Genève à cause de la violence de Lupa, je m’étais mis du côté de Lupa, style, nous créateurs, nous ne pouvons pas nous enfermer dans le carcan des lois syndicales, la création est un acte de foi, toutes les méthodes sont bonnes pour arriver à nos fins.
Oui mais d’accord, c’étaient des injures, ce n’est pas pareil, là il est question de viol.
Il est question d’honneur. La réputation du théâtre du Soleil est écornée. Cette compagnie irréprochable, cette cartoucherie lieu utopique, n’était -elle qu’un mythe ?
Quelle formule d’excuses puis-je inventer ?
Et puis maintenant, on sait qu’une des grandes figures du Soleil, Philippe Caubère, était un vrai monstre, et qu’il aurait même compté parmi ses victimes, Agathe Pujol.
Je m’accroche à un autre argumentaire : l’époque a changé. Avant “me too” la testostérone des mâles alfa pouvait sévir sans plainte aucune, c’étaient les moeurs d’antan. Le réveil des femmes est inouï, il faut s’en réjouir, mais c’est peut être trop facile de dire : nous ne savions pas.
Ariane Pujol rajoute dans sa plainte des soupçons de maltraitance. Exploitation comme bénévole dans les cuisines pendant deux ans pour espérer monter sur le plateau. A la place d’Ariane, je plaiderai coupable.
Sous nos attitudes de bienveillance se cachent des méthodes que le capitalisme pourrait bien nous envier car nous réclamons aux membres de nos équipes un don de soi total, un esprit de sacrifice, une adhésion insensée.
On sait tous que le collectif est dirigée par la main de fer d’Ariane, on n’est pas dans la bienveillance et la mièvrerie, la création a un coût humain et la dévotion doit être aussi absolue que dans un monastère.
Mais voilà, nous avons beau construire des citadelles, la société nous rattrape, nous appartenons à ce monde nouveau, nous ne sommes plus dans les années 1970, nous devons réviser nos paradigmes.
Je n’ai donc pas réussi à écrire à Ariane, je le regrette, j’aurais juste terminé ma lettre par l’apophtegme de Vim Wenders : “l’Art est un sale boulot mais il faut bien que quelqu’un le fasse.”
Yorumlar